Polygala - Extrait de Plante fraîche Bio
L’usage des racines dans la tradition
Revenir aux racines pourrait-il être la clef pour rétablir notre lien avec la nature, avec nos racines ?
Moins visibles que les parties aériennes, souvent réservées aux plus démunis, elles ont pourtant été nos alliées essentielles lors des périodes de disette. Gardiennes de l'énergie végétale, absorbant l'eau et les nutriments, créant des partenariats symbiotiques avec bactéries et champignons, les racines jouent un rôle majeur dans la formation des sols. Tout comme elles ancrent la plante dans la terre, elles semblent ancrer notre lien à la nature elle-même. Qu’elles soient médicinales, comestibles, magiques, tinctoriales ou toxiques, enracinons-nous un peu à leur côté dans cet article.
Une racine ? de quoi s’agit-il ?
D'un point de vue botanique, la racine est un organe de réserve généralement enfoui dans la terre. Ses fonctions principales incluent la fixation de la plante au sol et l'absorption de l'eau et des nutriments essentiels. Afin de stocker davantage d'énergie, elle peut être tubérisée.
L’ensemble racinaire est souvent composé d'une racine principale, de racines secondaires et de radicelles, pouvant elles-mêmes être pourvues de poils. Il existe des racines pivotantes, fasciculées, traçantes et adventives. Ces dernières sont parfois si robustes qu'elles soutiennent le tronc au-dessus du sol, comme des contreforts. Ce sont les "racines-échasses" typiques des mangroves. Dans les environnements humides, elles peuvent former des excroissances aériennes, appelées pneumatophores, qui améliorent les échanges gazeux. En outre, certaines présentent des adaptations particulières telles que des crampons ou des suçoirs. Bien qu’elles prennent diverses formes, elles se distinguent des autres organes par l'absence de feuilles et de bourgeons, et par la présence de coiffes et de poils.
La sagesse des racines
Leur récolte est saisonnière, influencée par la météo et les saisons. Certaines apportent guérison et bien-être, d'autres nourrissent les corps. Certaines encore invitent au voyage intérieur, tandis que d'autres cachent des périls redoutables. Pour la récolte, des outils précis sont nécessaires, afin de ne pas les endommager. Une fois extraites, les racines comestibles sont cuisinées ou conservées. Les médicinales sont nettoyées, coupées, mises en macération ou éventuellement séchées, selon l'usage prévu. Chaque étape vise à préserver leurs bienfaits.
Des racines qui aident pour l’hiver :
L’aunée ou Inule (Inula helenium) - Astéracée
L’inule serait née d'une larme versée par Hélène, fille illégitime de Zeus et Léda, lors de son enlèvement par Paris, ce qui déclenchera la guerre de Troie. Le nom d’espèce helenium est en son honneur.
Sa racine est utilisée dans les affections bronchiques, surtout lorsqu’elles sont productives : bronchite chronique, toux grasse, asthme mais aussi coqueluche. Les lactones sesquiterpéniques qu’elle contient seraient en outre antifongiques et antibactériennes.
En plus de son utilité dans les affections respiratoires, son amertume peut stimuler l'appétit et soulager les faiblesses digestives. Il convient de noter néanmoins que l'aunée est déconseillée aux femmes enceintes en raison de ses effets indésirables potentiels, tels que vomissements, diarrhées, spasmes. Il est recommandé de l'utiliser avec précaution et sur une courte durée.
Le polygale commun ou Polygala (Polygala vulgaris) - Polygalacée
Expectorante et fluidifiante, le polygala est un remède naturel bénéfique lors de bronchites et de toux grasses. Ce serait ses saponosides qui lui conféreraient sa capacité à augmenter la production de mucus ainsi que la stimulation de l’activité ciliaire de l’épithélium bronchique.
En raison de cette richesse, le polygale est à éviter sur le long terme afin de ne pas irriter le tube digestif, ainsi que chez les individus souffrant d'ulcères.
La potentille tormentille (Potentilla erecta) - Rosacée
Très riche en tanins, ses rhizomes sont astringents, anti-diarrhéiques, hémostatiques, anti-oxydants et anti-inflammatoires. L’extrait hydro-alcoolique de potentille tormentille pourra accompagner les angines et autres maux de gorge, en gargarisme. Les propriétés des tanins ne limitent pas la potentille à ce seul usage : elle pourra accompagner efficacement les ménorragies et les hémorroïdes.
La guimauve (Althea officinalis) - Malvacée
Sa racine, riche en polysaccharides mucilagineux, lui confère des propriétés émollientes et adoucissantes. La guimauve est également anti-inflammatoire et pourra accompagner les toux d'irritation, ainsi que les irritations digestives, les cystites ou toute autre inflammation des muqueuses.
La réglisse (Glycyrrhiza glabra) - Fabacée
La réglisse agit comme expectorant et mucolytique, facilitant l'élimination des sécrétions bronchiques et offrant un soulagement contre la toux. De plus, ses propriétés antivirales, antibactériennes, immunostimulantes et anti-inflammatoires la rendent efficace en cas d'angines et de bronchites.
En présence d'hypertension artérielle, de problèmes cardiaques, rénaux, ou hépatiques, ainsi que de déséquilibres hydro-électrolytiques, il est déconseillé de consommer des produits à base de réglisse. De même, en cas de prise de médicaments diurétiques, antihypertenseurs, hétérosides cardiotoniques, corticoïdes, laxatifs stimulants ou d'autres traitements pouvant perturber l'équilibre hydro-électrolytique, cette plante est à éviter. La réglisse contenant de la glycyrrhizine, les femmes enceintes ou allaitantes doivent éviter son usage.
Selon les affections rencontrées, sélectionner une à trois racines, puis prendre pendant 10 jours un total de 15 gouttes d’extraits hydro-alcooliques matin et soir dans un peu d’eau, en dehors des repas. Si les symptômes persistent, consulter un médecin.
Des racines nourricières :
Les racines, tubercules et rhizomes sont des joyaux souterrains. La carotte illumine divers plats, des carottes Vichy au couscous en passant par le bœuf bourguignon. Le céleri-rave et le panais enrichissent les veloutés et les purées. Le gratin dauphinois, grâce à Antoine Parmentier, ainsi que le hachis qui porte son nom, introduisent la pomme de terre en cuisine française.
Et que serait notre pot-au-feu sans ses navets ?
La betterave teinte en rouge intense le bortsch, un potage dont le nom aurait pour origine une autre plante sauvage comestible et médicinale utilisée dans ce plat : la berce ! Depuis 2022, la préparation du bortsch ukrainien est même inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO, aux côtés de la diète méditerranéenne. Les ignames, riches en amidon, composent des mets sucrés ou salés. Le manioc devient fécule et farine, et est essentiel dans le foufou en Afrique de l'Ouest ou dans la farofa brésilienne. La taro, ou racine madère, pourtant toxique, permet de cuisiner le laplap au Vanuatu. Ainsi, les racines, partout dans le monde, sont porteuses d’histoires et de traditions culinaires.
Des racines tinctoriales :
Déjà connue des Grecs, des Romains et même des Égyptiens, la garance des teinturiers (Rubia tinctorum) est utilisée pour ses pigments dès l'Antiquité. Elle a joué un rôle crucial dans notre histoire militaire. Utilisée pour teindre les uniformes des soldats français, c'est elle qui est responsable de la couleur du célèbre pantalon « rouge garance » abandonné au cours de la Première Guerre mondiale. L'apogée de cette culture, qui se concentre en Provence, se situe au milieu du 19e siècle. Cette plante, bien que détrônée par les colorants synthétiques, demeure un témoin précieux de la riche tradition tinctoriale française.
Des racines toxiques :
Les aconits (Aconitum sp.) - Ranunculacée
Ces plantes contiennent des alcaloïdes très toxiques capables de traverser les barrières cellulaires, y compris la peau, raison pour laquelle elles sont à manipuler avec des gants ! En bloquant la fermeture des canaux sodiques des membranes cellulaires, elles vont paralyser les muscles, y compris le myocarde. Picotements, paralysie, troubles du rythme cardiaque pouvant aller jusqu’à la mort, la toxicité de ces racines a été décrite dès le 3ème siècle avant notre ère. Le nom de genre Aconitum provient du grec akòniton signifiant « plante vénéneuse ».
Hannibal, général carthaginois, préféra le suicide, en avalant probablement un mélange d’aconit et de ciguë, plutôt que de se rendre aux romains.
Plus récemment, en 2009, au Royaume-Uni une femme empoisonna son ex-mari et sa nouvelle femme avec un curry mortel d’aconit.
L’oenanthe safranée (Oenanthe crocata) - Apiacée
Elle pousse dans des lieux humides, comme sa cousine lointaine la ciguë aquatique. Toutes deux contiennent des polyines provoquant des troubles circulatoires, neurologiques et digestifs pouvant être fatals. Toute la plante renferme des polyines toxiques, mais chez l’oenanthe ce sont les racines qui en renferment le plus. L'un des signes distinctifs est le sourire sardonique figé sur le visage de la victime. Dans l'Antiquité, les Sardes auraient utilisé cette racine pour la mise à mort rituelle des personnes âgées. Des masques puniques découverts en Sardaigne, caractérisés par ce même sourire macabre, évoquent le passé sombre associé à cette racine dans le bassin méditerranée.
La mandragore : magique ou maléfique ?
Sa forme anthropomorphe est propice aux interprétations symboliques. La racine de mandragore (Mandragora officinarum) détient beaucoup de mystères.
Dans l'Antiquité, elle était prisée pour ses propriétés sédatives, anti-inflammatoires, voire comme antidote en cas de morsure de serpent. Sa forte toxicité exigeait une manipulation prudente et des dosages précis. Ses alcaloïdes conféraient également des effets hallucinogènes, hypnotiques et narcotiques. Au Moyen-Âge, elle fut utilisée dans des baumes et des onguents pour provoquer des états de transe. Son arrachage imprudent risquait toutefois de déclencher la folie à cause de ses hurlements. Aujourd'hui, la mandragore suscite davantage d'intérêt pour son importance historique dans les traditions magiques et folkloriques que pour son utilisation pratique.
La tradition millénaire de l'utilisation des racines dans la culture, la médecine, la gastronomie témoigne d’un héritage transmis de génération en génération. Souvent négligées, les racines constituent le lien vital entre l'humanité et la terre. Elles portent en elles nos traditions, rappelant que notre existence est entrelacée avec la nature depuis toujours.
Claire Mison, praticienne en Herboristerie traditionnelle